La République de Mulhouse

1293 - 1798

 
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Alors que la plupart des peuples de l'Europe, notamment la France, aujourd'hui si fière de sa liberté, gémissaient encore sous le joug dégradant de la servitude, nous étions déjà des hommes libres (homines liberi et ingenui); alors que, ayant à peine conscience de leurs droits d'homme, ils vivaient sujets de princes grands ou petits, séculiers et ecclésiastiques, nous étions déjà les citoyens libres d'un état souverain et indépendant, capables de nous gouverner nous-mêmes ; alors que la papauté exerçait un pouvoir illimité sur les choses de la foi et de la conscience, nous étions déjà des chrétiens affranchis par la Réforme ; et lorsque, enfin, en 1789, retentit de Gaule la voix puissante de la liberté, appelant les peuples opprimés à leur émancipation, nous étions déjà de vieux républicains.

Les premières assises de si précoces franchises se retrouvent dans la politique des empereurs allemands des XIIe et XIIIe siècles, qui conçurent l'idée de fonder des villes libres, relevant immédiatement de l'Empire, afin de s'en servir comme d'un moyen d'attaque et de défense contre les entreprises de princes parjures à leur foi, aussi bien que contre les foudres d'excommunication des papes.

Mulhouse est une des plus anciennes villes de ce genre, et jouissait comme telle des libertés et des régales les plus étendues. Sous le gouvernement glorieux de Frédéric Barberousse, elle fut élevée au rang de ville libre de l'Empire, en 1163.

Dans leur ensemble, ces privilèges conféraient à la ville le droit alors si rare:

1. de faire ses propres lois ;
2. de se gouverner de son propre chef par un magistrat élu par la ville et y résidant ;
3. de juger souverainement en matière administrative, civile et criminelle ;
4. d'avoir ses propres poids et mesures ;
5. d'avoir en propre des armoiries et des sceaux ;
6. de frapper monnaie ;
7. de percevoir des droits de douane et des contributions ;
8. de fixer les taxes de chancellerie et de justice ;
9. de constituer des tribus et d'établir des marchés ;
10. d'administrer à sa guise l'église et l'hôpital ;
11. d'ordonner de sa propre autorité l'armement des bourgeois et les fortifications de la ville ;
12. de prendre des troupes à solde ;
13. de déclarer la guerre et de faire la paix; 
14. de contracter des alliances avec le pape et l'empereur, les rois, les princes et les villes ;
15. d'entretenir des ambassades ;
16. d'avoir siège et voix aux diètes de l'Empire ;
17. d'assister au couronnement de l'empereur ;
18. d'étendre le territoire de la ville et d'avoir des vassaux, suivant le droit féodal ;
19. de donner asile à tous bannis et fugitifs et de leur accorder protection ; 
20. d'accorder le droit de bourgeoisie à tous et à chacun, à volonté ; 
21. de recevoir le serment de bourgeoisie et de fidélité.

En ce qui concerne les bourgeois en particulier :

1. chacun était libre de sa personne et capable de gouverner ;
2. il ne pouvait, en vertu d'aucune réclamation, être appelé devant un tribunal étranger, ni être inquiété d'une manière quelconque ;
3. dans la ville même, il ne pouvait être puni, à moins d'un jugement régulier ;
4. son domicile était sacré et inviolable ; il ne pouvait, de jour ni de nuit, y être appréhendé ou fait prisonnier ;
5. il était habile à être investi de toute espèce de fiefs et à en jouir, suivant le droit féodal ;
6. il était dispensé de tout duel avec un campagnard ;
7. il était exempt des droits de péage dans toutes les villes impériales ;
8. il avait le droit de posséder des armoiries et de prendre part aux tournois.

Les armoiries héréditaires ne méritent pas moins d'attention que les noms des différentes familles, dont elles représentent symboliquement l'origine; et nous pouvons bien admettre que ceux-là seuls y prennent peu d'intérêt, qui ne savent pas en trouver la clef. Et pourtant l'origine en est complètement démocratique, car ces armoiries ont fait leur apparition dans le même temps que les villes obtenaient leur indépendance, qui affranchit pour toujours nos pères des prétentions des petits tyrans locaux. On ne saurait révoquer en doute que cette victoire populaire, qui brisa complètement le despotisme, n'ait été le fait, non de la noblesse, mais de la bourgeoisie, à laquelle nous devons nos premières libertés. Pour perpétuer chez les générations futures le souvenir de cette glorieuse origine, les armoiries devinrent héréditaires dans les familles bourgeoises, en signe de la liberté et de l'indépendance personnelles que nos vaillants ancêtres scellèrent de leur sang, et qu'à travers les orages de tant de siècles ils surent conserver jusqu'à nos jours. 

Aussi le droit de bourgeoisie à Mulhouse était-il généralement recherché, même par les familles nobles les plus distinguées des environs ; mais dans les temps plus récents peu d'entre elles purent l'obtenir

Bien loin de vouloir porter atteinte, d'une manière quelconque, aux dignités de la haute noblesse, notre patriciat était avec elle sur le pied d'une parfaite égalité ; il jouissait même, sous certains rapports, de privilèges encore plus grands. Nous avons du reste la preuve qu'à l'étranger le titre de patricien de Mulhouse était admis sans conteste comme preuve généalogique suffisante pour la réception dans la noblesse immédiate de l'Empire.

C'est un fait vraiment remarquable, et peut-être sans pareil dans l'histoire, que sur le théâtre du monde, une poignée de terre ait réussi pendant des siècles à maintenir sa liberté et son indépendance, jusqu'à ce qu'enfin, lors de la grande Révolution, la petite république, librement et sans avoir été déflorée, déposât sa souveraineté dans le sein de la France. 

Extraits du Livre d'Or de la Ville de Mulhouse, par Nicolas Ehrsam (Archiviste de la ville). Septembre 1850.

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